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Un écrivain peut-il, par ses œuvres, contribuer à l’amélioration de la société?

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Un écrivain peut-il, par ses œuvres, contribuer à l’amélioration de la société ? Un écrivain écrit rarement uniquement pour lui, car il vise à faire passer, à travers ses oeuvres, un message, son opinion. Ainsi, certains auteurs s’engagent à travers leurs écrits, et prennent des risques pour dénoncer des injustices, faire valoir des idées importantes à leurs yeux, leurs valeurs… 
      On peut se demander si cet engagement est efficace, s’il contribue réellement à l’amélioration de la société. 
       S’il est vrai que les idées des écrivains ont une certaine influence sur l’évolution de la société, celle-ci est néanmoins parfois limitée, selon les époques. Dans tous les cas, si le but recherché par l’auteur n’est pas atteint, son œuvre aura peut-être amélioré individuellement chacune des personnes qui composent la société. 
      Tout d’abord, l’écrivain peut se servir de sa notoriété pour faire circuler ses idées et les faire connaître au plus grand nombre de personnes possible. Il exerce donc une grande influence sur la société en faisant passer, à travers ses oeuvres, son point de vue sur une question politique, religieuse ou morale. 
      Ainsi, certains écrivains veulent « corriger les vices des hommes », notamment Molière qui voulait leur faire prendre conscience de leurs défauts, mauvaises idées ou actions. En tant qu’intellectuels, les écrivains guident les hommes en faisant appel à leur raison. Ainsi, la comédie L’Avare de Molière voulait corriger l’avarice des hommes par le rire. 
        Par ailleurs, la littérature permet d’éclairer le peuple sur certains faits, pour éviter que les mêmes erreurs ne se reproduisent, de dénoncer des injustices. Ainsi, Emile Zola appelle à la justice en 1898 avec la parution de sa lettre ouverte, « J’accuse », adressée au Président de la République, dans le journal L’Aurore. Il y défend Alfred Dreyfus, accusé à tort de trahison en temps de guerre, et cherche à faire éclater la vérité à propos du complot dont le capitaine a été victime. Cette lettre a une véritable action politique et idéologique, tant l’opinion publique est sollicitée. L’auteur veut à tout prix provoquer un changement au niveau de la justice, quitte à en payer les conséquences. Sa révolte est donc peut-être responsable de la mise en place d’une justice plus équitable, moins arbitraire, comme celle d’aujourd’hui. 
       En outre, la vérité concernant les camps de concentration et d’extermination durant la Seconde Guerre Mondiale fut longtemps dissimulée, et il fallut attendre quelques années après la fin du conflit pour voir apparaître les premiers écrits dénonçant les horreurs de la guerre. Si c’est un homme, de l’auteur italien Primo Lévi en est un exemple. Paru en 1947, le livre raconte son expérience personnelle en tant que prisonnier des camps de la mort. Tout en se libérant de ses souvenirs, l’auteur résiste à l’oubli en voulant que son témoignage touche le plus grand nombre de personnes, pour le devoir de mémoire et pour alerter l’opinion. 
        De plus, au XVIIIème siècle, de profonds changements liés à la littérature des Lumières sont intervenus dans la société. Il est possible que les philosophes des Lumières aient amené à la Révolution, puisqu’ils remettent totalement en cause l’organisation de la société et le système politique français ; ils se battent pour l’égalité, la liberté (notamment avec l’abolition de l’esclavage et la tolérance religieuse), etc… Ces écrivains se servent de leurs écrits comme d’armes ayant un pouvoir de réflexion sur le peuple, et ils mettent tout en œuvre pour faire connaître leurs idées. Ils les rendent donc plus accessibles au public, en les faisant intervenir dans le théâtre, le conte philosophique, le roman épistolaire, ou encore dans l’Encyclopédie, ouvrage chargé de récapituler l’ensemble des connaissances et des nouvelles idées. A travers un personnage de fiction, ils peuvent transmettre un message et argumenter implicitement et indirectement. S’ils sont, à l’époque, très critiqués par la noblesse ils peuvent apparaître comme les maîtres de la raison, et leurs idées vont finalement faire de plus en plus d’adeptes. Dans l’article « Sur le Parlement », tiré de son ouvrage Lettres Philosophiques de 1734, Voltaire décrit, en parallèle, l’organisation politique de Rome dans l’Antiquité et celle de l’Angleterre à l’époque où il y est exilé. C’est un moyen pour lui de poser le système anglais comme modèle, et, par conséquent, de critiquer indirectement le système français. Il est fasciné par la modernité de l’Angleterre, au niveau économique, scientifique, mais surtout au niveau politique, puisque le système politique est basé sur une séparation des pouvoirs et donc une limitation de ceux du Roi par le Parlement. Il en résulte que l’Angleterre est, au XVIIIème siècle, un pays beaucoup plus libre et plus démocratique que la France. Selon Voltaire, le pouvoir absolu ne doit pas exister, car un pouvoir partagé est synonyme de liberté. Ses textes avaient donc préparé à des changements ; ils ont eu des répercussions environ un demi-siècle plus tard, puisque la Révolution de 1789 a abouti à une certaine séparation des pouvoirs. 
        Enfin, certains écrivains souhaitent également se servir de leurs écrits pour dépeindre la société, faire apparaître la réalité aux yeux de tous, et faire changer les choses. Pour être le plus proche possible de la réalité et donc être crédibles, ces derniers observent, accumulent des renseignements sur les milieux sociaux, sur les conditions de vie, l’environnement, et les transposent dans une réalité du langage. Ils poursuivent donc le but d’une littérature scientifique et morale. Par exemple, Emile Zola, écrivain du XIXème siècle attentif au peuple, a fait prendre connaissance à chacun de la dure réalité de l’époque par la littérature : dans l’Assommoir, il révèle la misère du peuple, dans Nana, il insiste sur l’histoire d’une mère de famille obligée de se prostituer pour vivre, et, dans Germinal, il décrit les conditions de travail scandaleuses des ouvriers. A son enterrement, une délégation de mineurs viendra lui rendre hommage en scandant « Germinal ». Zola a fait entrer le langage familier dans le roman, mais cette vision pourtant objective d’un peuple dont la dégradation et la misère étaient inéluctables, lui a valu des critiques négatives. De cette manière, il a voulu faire prendre conscience à l’ensemble de la société des conditions de vie des plus pauvres, afin que certains nobles ne puissent plus faire semblant d’ignorer la vérité. 
       En revanche, la portée des œuvres a été et est parfois limitée par des barrières sociales ou politiques. 
       En effet, à une époque, peu de personnes savaient lire, et les livres étaient imprimés en peu d’exemplaires : les écrits n’avaient pratiquement aucune portée. Cependant, la lecture s’est banalisée avec l’invention de l’impression, et le nombre d’ouvrages mis à disposition est devenu bien plus important. La lecture a donc donné aux gens une certaine ouverture d’esprit. Mais, parfois, le message que souhaite faire passer l’auteur n’a pas de répercussions, et il se heurte à une mauvaise réception de la part des lecteurs. Ce problème n’est donc plus l’analphabétisme, mais peut-être un désintérêt pour le sujet abordé, une incompréhension, une opinion différente, ou encore l’impression de ne pas être concerné. Par exemple, certains nobles fermaient les yeux sur des réalités, telles que les conditions de vie très difficiles des personnes issues de milieux pauvres. Ils faisaient semblant de ne pas voir pour ne pas se sentir coupables.
       De plus, la littérature a toujours été plus ou moins contrôlée par les autorités selon les époques et, au cours des siècles, de nombreux écrivains ont été victimes de la censure. En effet, cette dernière est étroitement liée au type de régime politique. Ainsi, un écrivain aura moins de difficulté à publier certains de ses écrits en démocratie plutôt que sous une dictature. C’est pourquoi, au XVIIIème siècle, la littérature des philosophes était très surveillée, pour garantir la stabilité du régime, qu’ils remettaient d’ailleurs ouvertement en cause. Le pouvoir royal accusait ces livres de porter atteinte à « l’autorité du roi » et de « troubler l’ordre et la tranquillité de ses états ». Les ouvrages devaient être conformes aux normes religieuses, politiques et morales, sinon ils étaient brûlés ou leurs auteurs étaient, sur décision arbitraire, envoyés en prison. Voltaire sera en effet enfermé à la Bastille, puis exilé ; Diderot sera lui aussi emprisonné ; certains romans de Rousseau seront brûlés… 
Beaumarchais dénonce cette censure abusive dans Le Mariage de Figaro, où Figaro, lors d’un long monologue, se laisse aller à une réflexion sur sa vie et ses tribulations professionnelles. Il y évoque en particulier sa carrière d’auteur menacée par le poids des préjugés, des interdits et de la censure : « Pourvu que je ne parle en mes écrits, ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois Censeurs ». 
         Toutefois, certains écrits sont autorisés alors qu’ils peuvent avoir des effets néfastes sur la société. C’est le cas pour Mein Kampf, livre écrit par Hitler lors de son séjour en prison, qui expose le programme du parti nazi. Il y décrit la manière dont il s’assurera que l’Allemagne dispose d’un « espace vital » en réunifiant l’ensemble de la population germanique et en annexant des territoires, mais il y expose également ses théories raciales d’extermination des Juifs, tziganes, handicapés… C’est pourquoi on peut considérer ce livre comme dangereux, car plus ou moins à l’origine de la Seconde Guerre Mondiale… 
        Pour finir, certains auteurs écrivent sans chercher particulièrement à faire passer un message ; ils écrivent pour eux, leur histoire (récit autobiographique), ou cherchent seulement à divertir les lecteurs. On peut par exemple citer l’auteur Anna Gavalda et son roman Ensemble c’est tout, qui n’a peut-être pas de propos particulier ; il se peut que son but soit tout simplement de faire passer un moment agréable au lecteur. 
Les écrivains eux-mêmes sont partagés sur le but de la littérature. Par exemple, Théophile Gautier, le chef de file des Parnassiens, revendique « l’Art pour l’Art ». Ce mouvement a une théorie suivant laquelle l’art n’a d’autre fin que lui-même, et qu’il ne sert à rien d’autre. Il refuse l’idée d’une oeuvre « utile », au nom de la beauté qui doit rester « gratuite ». Ce type d’'oeuvre a donc évidemment peu de portée sur la société. 
        On peut malgré tout penser que, si la littérature n’améliore pas la société, elle améliore au moins le niveau culturel des individus qui la composent en développant chez eux le sens de l’esthétique et leur esprit critique. Pour affiner ce dernier, il suffit, selon Diderot, d’oser penser soimême. Kant, philosophe allemand du XVIIIème siècle, dans Qu’est-ce que les Lumières ?, conseille également de « faire usage public de sa raison dans tous les domaines […], d’avoir le courage de se servir de son propre entendement ».
 Le fait de se confronter à des points de vue différents contribue à une certaine ouverture sur le monde. La vie des protagonistes, les évènements qu’ils vivent, permettent au lecteur de s’identifier à eux, et ainsi de s’approprier les personnages, leur expérience, pour se forger leur opinion et ne pas reproduire les mêmes erreurs. De cette manière, les apologues, des récits à portée moralisatrice, donnent une leçon au lecteur, comme par exemple les Fables de La Fontaine. En outre, la lecture permet de s’évader, d’entrer dans un autre univers, et améliore le quotidien de nombreux lecteurs. 
        Selon Sartre, « chaque parole de l’écrivain a donc des retentissements », même s’ils n’interviennent pas tous à la même échelle. En effet, la littérature peut simplement améliorer la culture, l’esprit critique des lecteurs, mais aussi avoir des conséquences plus importantes : grâce à la lutte des philosophes des Lumières, la France est devenue la « Patrie des Droits de l’Homme ». Cependant, la portée des œuvres n’est pas toujours la même selon les époques, et leur efficacité est parfois immédiatement limitée, puisque certains auteurs se heurtent à des problèmes de réception du public, ou que la censure interdit leur liberté d’expression. Mais les écrivains, par leur pouvoir de persuasion, peuvent également manipuler le spectateur et plus généralement la société par leur manque d’objectivité. Dans notre société contemporaine, il est important de se demander si les médias, notre principale source d’information, n’ont pas, de la même façon, un grand pouvoir d’influence, voire de manipulation…